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L’Algérie, la banlieue, la violence, le basket, la poésie, le geste et finalement une autre idée du sport

Cette réflexion a été publié en 2018. Si Codezero lance aujourd'hui le concours SPORT IN'PULSE, ce n'est pas un hasard. Parmi toutes les raisons qui ont présidé à la création de Codezero, il y en avait quelques-unes qui se détachaient. Notamment faire avancer des initiatives sur les sujets dont on parle depuis des années. L’éducation, la transmission de valeurs, d’attitude, le bien-être, l’équilibre personnel, la santé, l’environnement, le lien social, l’inclusion. Tous ces aspects profondément humains qui tranchent avec le discours habituel du haut niveau et de la « victoire ».

« C’est dans l’Equipe….  »  pourrait-on s’exclamer au bar du coin. L’Equipe, la référence, le journal qui incarne le sport, le sport de ceux qui le font, de ceux qui ne font que le lire mais qui l’aiment profondément.

L’Equipe, tous les jours, tous les résultats, tous les récits, tout le sport, tous les sports même si c’est une seule vision du sport. Lecture transversale en tout cas qui réunit chaque jour même ceux dont les passions n’ont rien en commun. En fait, dans le cas qui nous occupe, c’est dans l’Equipe Explore. La différence est de taille. A nos yeux, c’est mieux, beaucoup mieux. Explore, c’est le sport vu par ARTE. Comme si le quotidien français, historique, sans concurrent mais qui ne voit et ne s’attarde que sur la compétition et sur les classements qui, finalement, disent si peu sur l’essence même du sport, avait eu besoin d’ouvrir une page supplémentaire pour parler de cet univers autrement.

C’est un documentaire (vidéo non intégrable ici et ce n’est pas grave, cliquez là pour la voir en plein écran). Sombre, profond et sublime, signé Nicolas de Virieu. On parle d’un homme et de son histoire. Tragique au sens c’est à dire « qui inspire une émotion intense ».

Une région, la Haute Marne, une ville, Saint Dizier, des quartiers, «défavorisés». Une barre, le Verbois puis le 36 et le 36 ter. Le bout du bout, la marge. Le bord de l’abîme. La pauvreté, l’absence d’horizon, la violence, les trafics en tout genre, le quotidien difficile.

Rien à voir avec une exagération de journalistes qui fabriqueraient du Zola, ce sont les mots de la réalité. Live. Il y a des gens bien aussi au milieu de cette détresse. Kadour Ziani, fils d’immigrés algériens arrivés en France dans les années 60, Kadour, membre d’une famille de treize enfants. Devant la caméra, ce sont bien Kadour et ses proches qui parlent. Ils sont simples et touchants, on les adopte de suite. Le génie du réalisateur c’est de produire du vrai. Instantanément. Sans trop de pathos :

C’est quoi toute cette violence, pourquoi j’ai à subir tout ça ?

On passe vite de la noirceur à quelque chose de bien plus grand. Et quel chance inoui, Kadour Ziani a les mots pour le dire, ce qui fait de lui une personne si rare. Il parle de son sport et de ses envies. Kadour, jeune algérien promis à une vie difficile va devenir quelqu’un. Beaucoup plus même. Grâce au sport et ce qu’il va en faire. Loin des trajectoires fantasmées du sport dont on voudrait faire des exemples pour la jeunesse.

Je voulais voler. Voler, c’est s’élever, prendre de la hauteur. Les oiseaux m’ont toujours fasciné. Quand tu as des ailes, tu ne peux pas avoir de problème. Les ailes comme arme absolue. Pour triompher de tout

A 16 ans, il découvre les All Stars Games, la NBA, le dunk, ce mouvement que les basketteurs connaissent bien. Le dunk, toute l’âme du basket résumée en un seul geste.

Tous ces dunkers (ceux de la NBA), je les voyais avec une élégance, une esthétique, c’était de la poésie. Pour moi, c’était des artistes

Il se met à tout décortiquer mais lui et ses potes gardent les pieds sur terre. Savent qui ils sont, d’où ils viennent « On avait la perception que le dunk, c’était pour les noirs, grands et costauds. Surtout pas pour les rebeus petits et maigres »

C’est impossible, c’est pas pour nous pensent t-ils, alors le dunk va devenir une obsession pour Kadour. Il y voit et y injecte aussi sa façon de voir, sa poésie. Encore une fois dans le monde sportif c’est tellement rare.

Années 90, c’est la culture hip-hop, l’image de la NBA qui débarque en France. La bande a fait du chemin. C’est le début de la Slam Nation. Kadour et son équipe vont vivre leur rêve, faire des shows un peu partout dans le monde. Un jour, ils débarquent même sur le parquet des Bulls de Michaël Jordan.

Le centre du monde. « Tu marches sur des rêves » dit-il à la caméra. Il a de l’humour et du recul. Il trouve que la caméra est trop petite pour pourvoir y mettre l’immensité de ce qu’ils sont en train de vivre. Saint Dizier Chicago, aller/retour pour le prix d’un beau geste. Sans match, sans victoire, mais grâce à la maîtrise d’un geste, d’une forme d’art. Le soir même il fait hurler de joie cette salle qui en a vu d’autres, cette salle qui est celle de Jordan. « On voyait le chemin parcouru » dit le frère. Sa sœur voit Kadour comme Christophe Colomb, celui qui découvre le monde. Elle a raison. Le dunk, ce geste symbolique, leur offre le monde.

Kadour encore une fois y met de la profondeur. Il va au delà du sport…

« Le voyage te permet de te regarder de loin, j’ai vu ma condition de loin »

En parcourant le monde, il découvre la réalité. Il voit aussi l’extrême pauvreté, et se permet de relativiser alors la sienne. Combien de sportifs ont ce recul, combien sont capables de cette élégance ?

Nous vous invitons à regarder ce fabuleux documentaire. Pourquoi ce récit ici ? Ce qui nous semble remarquable ce sont les leçons à en en tirer :

  • Kadour Ziani nous donne à voir un autre destin sportif, une autre façon de voir le sport, de s’en saisir, une autre manière de le pratiquer.
  • A l’heure où la France compte ses médailles, comme à chaque fois, comme une obsession, à l’heure où les journalistes actionnent les mêmes automatismes rédactionnels, la trajectoire de Ziani exemplaire, bouleversante, nous montre qu’il n’y a pas que la compétition dans la vie. La Slam Nation s’est construite sur du partage, non sur de la domination. La Slam Nation véhiculait un idéal.
  • Kadour ne pratique pas le basket, il peaufine un geste. Il rapproche le sport de l’art. Le place en tout cas dans le registre de l’expression corporelle. Comme les skaters, les snowboarders, comme ce qui s’est passé en grimpe, en ce moment en slackline ou dans d’autres sports. L’art du geste, le sport c’est aussi ça. Il faut parler du sport aux jeunes génération sous cet angle.
  • Kadour parle de poésie, d’esthétique. Son ressenti et sa propre culture sportive le place dans une sphère dans laquelle la réalisation de soi, le plaisir, l’art du mouvement prennent une place de choix. Comment ne pas être inspiré par cet homme et son parcours. Pas d’affrontement, pas de hiérarchie, mais tellement d’implication et de travail.

La fin du documentaire est encore plus surprenante. C’est l’après. Kadour s’implique pour « durer ». Il trouve un équilibre entre son corps et son esprit. S’inspire du yoga, des arts martiaux et des… chats. Il respire une forme de sérénité et de sagesse, si loin de l’image qu’ont pu donner, d’autres sportifs, venus des mêmes horizons que lui. Comment « exploiter » son exemple pour inspirer d’autres, dévaforisés comme lui, comment se servir du sport d’une autre manière ?

Question : quelle vision du sport veut-on transmettre ? Celle de la compétition, de la sélection, des gagnants, des J.O ou celle de Kadour ?

Et si nous arrivions déjà à équilibrer les deux…

Depuis l’après-guerre il n’y a qu’un seul discours sur le sport en France ou presque. Celui des institutions, celui de la TV, principalement orientée vers la compétition pour l’un, le spectacle sportif pour l’autre. Sur le terrain, la pratique du sport en France est majoritairement vue au travers des clubs et du réseau des différentes fédérations. Ce dispositif a beaucoup de qualités (maillage, accès, structures, équipements, encadrements) mais émergent d’autres aspirations, d’autres valeurs .

Les évolutions sociétales ont débouché sur un changement majeur dans le sport à la fin des années 70, le déclin de la discipline au profit de l’autonomie, d’autres évolutions sont en cours. Surtout, il faut aujourd’hui apprendre à tenir un discours élargi sur le sport , notamment aux jeunes générations et ne pas s’en ternir qu’à Paris 2024. C’est urgent.

Nous avons créé l’agence Codezero pour parler du sport de demain, nous avons aussi voulu donner de l’ampleur au débat d’idée et fédérer les volontés, les réflexions et les énergies. Le thème nous tient particulièrement à coeur.

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