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Course au large : l’obsolescence de la classe Ultim est-elle programmée ?

On peut aimer la course au large, être admiratif de ce que les ingénieurs imaginent, de que les chantiers fabriquent et de ce que les skippers en font, et porter un regard critique sur les évolutions globales. Cette fois-ci c’est Alban James, fin observateur de la course au large française, qui nous livre une analyse très juste sur la classe Ultim.

Crédit photos : Jean Marie Liot/DPPI/Macif et Yvan Zedda/Banque Populaire

Les trimarans de la classe Ultim suscitent d’enthousiastes cocoricos, et c’est bien légitime. Purs produits de la « Sailing Valley », l’écosystème de la voile professionnelle en Bretagne Sud, ils sont actuellement les yachts de course au large les plus rapides du monde, et de loin.

Capitalisant sur les progrès dans les matériaux composites, ces navires extrapolent sur une plateforme de 32 mètres par 23, des concepts comme les foils ou les mats-ailes basculants, utilisés depuis quelques décennies sur des unités plus petites comme la Classe ORMA 60, aujourd’hui disparue.

À la faveur de tâtonnements empiriques et de la puissance de calcul sollicitée par leurs designers, la possibilité de voler au large devient progressivement une réalité. De fait, les Ultims détiennent actuellement tous les grands records océaniques en équipage ou en solitaire : tour du monde non-stop, l’Atlantique Nord et la distance sur 24 heures, en sont les plus convoités.

Ne verrons-nous pas, un jour, ces icônes de la course au large française avec la même admiration mêlée de nostalgie que celle ressentie à la vue des clippers de la fin du XIXe siècle ?

Vous avez la réponse, et elle est évidemment positive. La vraie question est : quand sonnera le glas de cette ère, et quelles leçons en tirer pour l’industrie de ce sport ?

Construits autour d’une règle de jauge ayant vocation à créer une homogénéité au sein de sa flotte tout en limitant l’escalade des budgets, les Ultims suivent une logique d’optimisation plus que d’innovation. L’intention est louable, mais ce à quoi l’on assistera inévitablement, à un moment ou un autre, c’est que dans ce cadre, les gains de performance seront de plus en plus marginaux pour un certain niveau d’investissement. En concentrant la créativité des designers sur un nombre limité d’options, toute jauge expose son flanc à une foule d’approches alternatives – monocoques à foils, praos, traction par kite, etc. – susceptibles, à un moment donné, de damner le pion des Ultims sur le terrain des records, lesquels restent à ce jour un des leviers essentiels pour leur viabilité économique.

Ce jour vous paraît encore loin ?

Rappelez-vous du record de vitesse absolue établi en Namibie en 2012 par SailRocket. Longtemps raillé comme fantaisiste par des voix entendues de la presse spécialisée, son concepteur et pilote, Paul Larsen, a mis tout le monde d’accord avec un run hallucinant à 65.45 nœuds. Son ambition était, métaphoriquement, de faire basculer la voile de l’âge des hélices à celle des turboréacteurs, grâce à un changement de paradigme en design.

La disruption SailRocket

Mettant en tension la force d’un foil qui « tire vers le bas » avec celle de son aile qui « tire vers le haut » son approche s’affranchissait de la limite du moment de retournement qui plombe l’histoire de la voile, et à laquelle les Ultims, avec leurs gréements perpendiculaires au plan de pont, restent soumis. Récemment sollicité sur la possibilité d’appliquer son concept dans un contexte océanique, Paul a confessé se désintéresser totalement des records ! En revanche, l’idée d’utiliser ce même concept pour des applications commerciales de transport rapide l’anime. Paul Larsen a le mérite d’ouvrir le champ du possible sur la question des pistes alternatives. Ces nouvelles voies ne demandent qu’à être explorées par des partenaires audacieux, avides d’innovation et de performance, et axant leur communication sur le potentiel des énergies renouvelables.

Un autre scénario, tout à fait réaliste, serait celui d’un armateur privé passant commande d’un multicoque de 140 pieds ou plus, qui passerait sans doute allègrement la barre des 50 nœuds, sans forcément s’enquiquiner avec des questions trop pointues sur ses foils. Ce dernier scénario, qui n’est pas franchement émoustillant en termes d’innovation pure, étoufferait dans l’œuf l’assise des Ultims sur les grands records.

Lutte de classe

Reste que, malgré leur futur incertain sur les records, la classe n’en est pas moins unique. Pour preuve, invités des deux dernières éditions de la Route du Rhum et de l’avant dernière Transat Jacques Vabre, ses trimarans géants ont monopolisé une part importante de l’attention des médias. Ceci plaît évidemment aux organisateurs de course et aux sponsors de ces géants, mais peut également cannibaliser une attention qui desservira les sponsors des autres classes, à savoir les Multi 50, les IMOCA et les Class 40, toutes contribuant à la vitalité d’un écosystème unique au monde. Cet écosystème n’est pas exempt de non-dits et certaines questions sont sur toutes les lèvres…

La classe Ultim est un collectif de sponsors dont les membres les plus actifs sont Sodebo, Macif et Banque Populaire. Si les membres de la classe venaient à croître significativement, cela ne risquerait-il pas de diluer la précieuse attention dont les membres fondateurs font actuellement l’objet ?

Un circuit dédié contournerait élégamment ce dilemme. La Brest Atlantique, fin 2019, a posé un premier jalon sur cet horizon. Mais il en faudra sans doute plus, avec des événements récurrents, pour intéresser de futurs sponsors et fidéliser un public qui mériterait d’être plus international. Si l’on se remémore l’épisode MOD 70, on comprendra que ce n’est pas chose facile. Ces trimarans monotypes de 70 pieds ont été plébiscités par les skippers professionnels qui ont réussi à convaincre leurs partenaires d’en faire l’acquisition, grâce à la perspective de deux circuits dédiés : l’un européen, l’autre mondial. Ces circuits n’ont jamais vu le jour. Résultat : des sponsors historiques de la voile, comme Veolia ou Foncia, ont jeté l’éponge.

D’une résonance hexagonale à mondiale ?

Si la planète est un terrain de jeu naturel pour ces géants, l’idée d’un circuit mondial qui leur serait dédié fait sens. Quels facteurs peuvent favoriser son émergence ? Les membres actuels du collectif « Ultim » ont des intérêts commerciaux, très centrés sur l’Hexagone. En revanche, un projet compétitif mené par un skipper étranger pourrait commencer à faire bouger la donne. Cela impliquerait la construction d’un nouveau bateau et un budget minimum de 12 millions d’euros. Pour certains sponsors, cela peut valoir le coup. La course au large peut être un ticket d’entrée intéressant sur le marché français, en particulier pour un groupe étranger y ayant des intérêts substantiels. Un projet gagnant dans une discipline très franco-française serait susceptible d’entraîner l’engouement de publics étrangers jusque-là indifférents à la voile. C’est précisément ce mécanisme qui a enclenché la globalisation du Tour de France cycliste. Quand Greg LeMond a terminé avec le maillot jaune, l’intérêt du public américain pour le tour a entraîné les sponsors, puis d’autre régions ont suivi. Ce scénario n’est pas inenvisageable pour les Ultims, mais la fenêtre de tir est étroite. Ces navires exceptionnels font l’admiration du microcosme de la voile aux quatre coins du monde, et ont tout ce qu’il faut pour toucher une audience globale. Nous avons bien raison d’être fier de cette réussite très française, laquelle, espérons-le, ne se conclura pas sur un scénario minitel.

Alban James

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