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Et si demain, les JO s’inscrivaient davantage dans l’esprit de Sir Ludwig Guttmann ?

Il n’y a pas qu’une vérité à propos des Jeux olympiques, juste des émotions et des opinions qui s’affrontent. Nous avons tous, en notre for intérieur, une vision du sport influencée par notre histoire, et notre culture personnelle, et les JO y prennent plus ou moins d’importance.

Analyse initialement publiée en mars 2021;

L’événement « produit » toujours des instants de grand bonheur collectif. On citera juste cette médaille d’or de judo gagnée par une équipe de France mixte qui l’emporte sur le Japon et au Japon, mais chaque pays aura eu ses héros et d’inévitables moments de défaite. Tout un chacun aura pu se projeter et s’inspirer de toutes ces histoires d’hommes et de femmes. On remarquera quand même que la présence médiatique des JO est quasiment sans équivalent, difficile d’y échapper d’où la résonance collective, on n’oubliera pas non plus la dureté du haut niveau, et on gardera à l’esprit Simone Biles.

Pour tout dire, la question est ailleurs. Les Jeux olympiques sont le reflet d’une conception du sport de plus d’un siècle, qui a été autant structurante que dominante. Ce rendez-vous planétaire incarne même une vision de la société. « Plus haut, plus vite, plus fort », le parallèle avec le progrès et la croissance est inévitable, d’autres l’ont fait bien avant nous. Ce qui est nouveau, c’est :  jusqu’où et à quel prix ? Si la question se pose aujourd’hui à notre humanité tout entière, pourquoi ne se poserait-elle pas pour les JO qui ne s’en sortiront pas en saupoudrant des « nouvelles » disciplines qui pour la plupart ont 40 ans, qui plus est en leur injectant un enjeu compétitif qu’elles n’avaient pas au départ. Quel lien de parenté en effet entre la grimpe d’Edlinger ou même d’Honnold et l’épreuve de vitesse de Tokyo ?

Sans aucun doute, la pérennité de l’événement passe par cette question à l’heure où le sport doit s’interroger sur le sens de la performance, tant ce mot clé brandi comme un étendard indiscutable ne souffre d’aucune remise en cause, alors qu’il pose de plus en plus question. Dans le monde réel, de nombreux sportifs pratiquent sans notion de performance. Depuis le milieu des années 60, la recherche d’une sensation, d’une extension du sentiment d’exister ou d’une augmentation de la relation avec le monde via la nature, a été le leitmotiv de nouvelles pratiques. L’exercice de soi également. Pour les adeptes du yoga, la performance n’a pas de sens.

Donc… au delà de la « performance », quel sens donner ? En dehors de la victoire, quelle ligne d’horizon dessiner ? Serait-il possible de concevoir le monde autrement ? Et en ce qui concerne le sport ?

La réponse pourrait bien venir de Sir Ludwig Guttmann. Neurochirurgien britannique d’origine allemande, il fonde à la fin de la Seconde guerre mondiale, le centre national des blessés de la moelle épinière près de Londres. Dans une époque qui ne prête pas d’avenir aux handicapés, il a de surcroît l’intuition que le sport pourrait leur être utile sur le plan physique, mais aussi psychologique.  Sur le plan de la confiance et de l’estime de soi, les progrès sont au rendez-vous.  Sir Guttmann poursuit alors dans cette voie et le 28 juillet 1948, il organise les Jeux de Stoke Mandeville. C’est la première compétition nationale pour participants handicapés. Au rendez-vous suivant plus de 130 compétiteurs internationaux s’y rassemblent, le succès dépasse les attentes En 1956, le Comité international olympique récompense Ludwig Guttmann pour sa contribution majeure à l’idéal olympique. Les jeux de Stoke Mandeville deviendront en 1960 les premiers Jeux paralympiques à Rome.

Rising Pheonix est un documentaire fabuleux produit par Netflix qui aborde justement cette histoire avec beaucoup d’ambition. On y découvre des athlètes filmés comme des super héros. L’escrimeuse italienne Bebe Vio, la nageuse australienne Ellie Cole, les coureurs sud-africain et britannique Ntando Malhangu et Jonnie Peacock ou encore Cui Zhe et Matt Stutzman. « On est tous des super-héros parce qu’on a tous vécu un drame tragique, quelque chose qui ne nous a pas permis de réussir. Mais c’est ça qui fait notre force. » Sincèrement, ces personnages-là ont réellement repoussé les limites du possible. La punchline prononcée par le Français Jean-Baptiste Alaize résume bien ces 105 minutes qui nous obligent à nous interroger sur le sport dans son ensemble.

Que nous apprennent ces athlètes, si l’on prend la peine de les extraire des Jeux paralympiques, réplique des jeux « classiques » sur lesquels on pourrait plaquer les mêmes reproches.

  • Que le sport est un objectif structurant qui est susceptible de nous transcender, physiquement et mentalement, l’un ne va pas sans l’autre.
  • Que rien n’est jamais tout à fait impossible, que des hommes et des femmes dont l’existence a gravement été compromise, par la guerre, un accident ou une maladie ont su retrouver à travers la course, l’escrime, le tir à l’arc ou autre, une raison de poursuivre, de prendre part à nouveau à la vie, et au final, de devenir des exemples, des sources d’inspiration.

Jusqu’à présent, le sport nous proposait d’être meilleur que les autres, nous invitait à « gagner ». Même si les JO demeurent un beau spectacle, ce sport-là nous éloigne de la société qui aspire à plus d’égalité, d’altérité, d’équilibre. Oublions le sport qui se regarde et le sport qui se pratique. Oublions le mythe du « champion », oublions tous ces poncifs sur le sport.

Aujourd’hui, le sport est déjà une « matière » dont nous faisons nos vies. En tout cas dans les pays où le sport est un luxe de la vie. C’est une ligne d’horizon, une idée qui nous met en mouvement. Rising Pheonix montre à quel point cette idée est un puissant moteur. On peut trouver beaucoup de vertus à ces JO finalement, tant la diversité de pratiques est susceptible de « parler » à tout le monde. Mis à part cette philosophie d’un élitisme forcené qui commence à dater, cette grande fresque du mouvement, du jeu, du dépassement a de quoi séduire si on lui fait dire autre chose.

Après-guerre, les handicapés n’avaient pour ainsi dire plus vraiment droit à la vie. Sir Ludwig Guttmann a été beaucoup plus loin que Mr de Coubertin. Il n’a pas fait du sport un instrument de mesure et de comparaison, mais un moyen de se relever, de se reconstruire. Tout comme l’association skatistan en Afghanistan. Nos modes de vies occidentaux nous éloignent de notre part animale, de notre corps, nous faisant perdre contact jusqu’au monde qui nous entoure. Le sport s’est pleinement intégré dans cette logique de progrès.

Il faut changer l’image du sport pour en dessiner de nouveaux contours, les athlètes des Jeux paralympiques sont bien plus susceptibles de nous guider dans cette direction.

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