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Et si on réinventait la natation…?

Si on veut bien l’admettre, la piscine municipale symbolise une certaine conception du sport. Une vision. Tout comme le stade. C’est d’ailleurs ça son problème. 

Elle est un élément d’un système global, mondial, le sport moderne, que Jean Baptiste Guégan décrit dans son livre Géopolitique du sport. Cette façon d’envisager la pratique sportive s’est même traduite en France par une doctrine écrite en 1965 qui régit le sport français. Tout le monde n’est pas forcément d’accord avec cette conception, des gens comme Jean Marie Brohm ou Nicolas Oblin, un sociologue, ont largement écrit à ce sujet. Albert Jacquard également fustigeait ce sport basé sur la rivalité directe, la hiérarchie. Quoiqu’on puisse en penser, et même aimer le sport moderne, compétitif, on ne peut pas l’ignorer. On notera que c’est en réaction à cette vision sportive codée, normée, produit d’une société qui ne l’était pas moins qu’un autre univers sportif a commencé à se former autour du surf, du skate, de la grimpe et même du VTT dans les années 60 et 70. La sensation au lieu du résultat. Le désir plutôt que l’ambition.

Revenons à notre piscine. Ce n’est pas seulement un plan d’eau, elle est le cadre dans lequel on a transformé une nécessité, apprendre à nager, et ce qui aurait du être un plaisir – être dans l’eau – en sport normé.

Un référentiel dans lequel on a reformaté une sensation en obligation, la performance se souciant peu encore une fois de la sensation. L’unité de l’eau est devenue la longueur et on a tracé des couloirs. Symboliquement c’est pesant. Cette piscine à deux rôles principaux, permettre d’apprendre à nager aux enfants, être le lieu de la pratique sportive institutionnelle qui vise à détecter des talents au travers d’un club, puis de les conduire vers le haut niveau pour qu’un jour un commentateur puisse s’égosiller à la TV pour une médaille de plus dans le concert des nations.

Comme l’écrit le site la natation pour tous, dans les années 60/70 : « La vision de la natation évolue ainsi vers une conception unitaire : il n’existe plus de séparation entre la natation compétitive et celle pratiquée à l’école, mais une seule natation dont la source d’inspiration est la technique du champion ».

La France est une grande nation de la natation. Elle a produit son lot de champions que les responsables voyaient comme des exemples et des relais de croissance. Sans doute Laure Manoudou et les autres ont initié des vocations et gonflé le nombre de licenciés, graal absolu des instances. Mais derrière les médailles, nombreuses, tout le monde pouvait aussi deviner le travail, l’entraînement, l’abnégation, la monotonie et … la souffrance. Les nageurs eux-mêmes en ont souvent convenu. Avec 300 000 milles licenciés pour 14 millions de nageurs, le ratio parle de lui-même, la compétition concerne une minorité comme dans beaucoup d’autres champs sportifs. Mais en natation peut-être plus qu’ailleurs, elle a tout de même été le principal filtre à travers lequel on perçoit ce sport. C’est là où nous voulons en venir. Avoir 14 millions de gens concernés par la nage montre bien le potentiel d’attractivité de l’exercice et n’avoir que 2% de licenciés est un signe. La plupart des « fédés » ont le même problème et elles sont à peu près toutes dans le même déni de réalité.

Dans une récente analyse, nous avancions que le bodysurfer était avant tout un nageur. Que le fait de nager pouvait retrouver une dimension récréative, existentielle. Il suffit de considérer tous les touristes souvent peu expérimentés qui partent se baigner près des vagues en Atlantique, souvent sans connaître le danger.

Aujourd’hui arrive sur nos côtes le swimrun sur lequel on reviendra en détail, la genèse de cette nouvelle discipline étant une belle histoire. Le swimrun qu’on pourrait résumer en une sorte de triathlon amputé de la partie vélo, est une épreuve mixte course à pied et nage. Elle se développe vite, les courses se multiplient y compris en France et les inscris sont nombreux. Le phénomène interroge. Ce format hybride, surprenant pourrait être à la natation ce que le freeride est au sport de glisse, mais ce n’est pas tout à fait cela puisque le swirun comporte une vraie dimension compétitive. Malgré tout, les images parlent d’elle-même, le swimrun projette la natation dans une autre dimension. Le swimrun est à la natation ce que le trail est à la course à pied. Une projection du sport hors du cadre, hors du stade, hors de la piscine à papa. La nature a remplacé le stade, le constat ne date pas d’hier.

À l’heure où le sport français se cherche un second souffle, il est beaucoup question de structures, de digital, d’innovations technologiques et de Jeux olympiques. Notre sentiment est qu’on oublie que de nombreuses évolutions sportives majeures sont culturelles et ont des racines sociétales. Il est sans doute possible de réinventer la piscine, comme il est sans doute possible de réinventer le stade, chez Codezero nous en sommes persuadés. Mais il faut sortir du cadre « culturel » des institutions sportives classiques.

La natation peut se réinventer. Dans les vagues, les lacs, en bord de mer, entre deux îles, elle doit juste s’imaginer une nouvelle identité hors du cadre de la piscine, des couloirs, des longueurs, de la discipline, du travail, de l’effort, autant de mots qui ne parlent plus qu’à une minorité.

Osons même aller plus loin. On pourrait imaginer que la nage puisse se réinventer en « boite » comme l’a fait la grimpe. La question est comment. La piscine à vague pourrait être la réponse. Aujourd’hui on conjugue naturellement vague artificielle avec le surf. Tous les observateurs savent parfaitement que le modèle sera très délicat à rentabiliser, que la satisfaction d’un grand nombre de surfers de niveaux très différents sera dure à obtenir. Imaginons demain une piscine à bodydurf, une piscine à vague dédiée au plaisir d’être dans l’eau avec son corps, imaginons proposer ça aux enfants, aux écoles… on change de dimension. Réinventer la nage en la reconnectant à un but. Ne pas s’attarder sur l’effort en tant que tel, nager plus vite, plus loin, pour quoi faire finalement, mais nager pour « exister », « ressentir », « atteindre » « voir » ou « découvrir »….

Et on conjuguait hédonisme et natation…

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