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Inoxtag met la montagne à l’épreuve de YouTube

La montagne n’est pas sacrée en France, au sens religieux du terme, mais c’est tout comme. Même si dans les faits, ce n’est pas vrai pour beaucoup de ceux qui se risquent sur les reliefs, on attend des alpinistes une démarche intellectuelle, une appartenance géographique ou un alignement philosophique avec l’objet en question. Voire les trois. Ainsi va le récit, il en est de même, d’une certaine manière, pour le surf. Cette exigence morale, qui s’appuie sur le niveau de pratique, la sociologie ou le lieu de naissance, persiste. Elle fabrique un cadre de référence, des règles parfois non écrites, mais engendre le meilleur comme le pire.

Cet effet de caste cimente la passion, structure la discipline, mais, il faut bien l’admettre, s’accommode deouis des décadd’un marketing qui a même investi les villes. Que cela plaise ou non, les grandes marques de montagne ou de surf nous ont certes fait rêver ; elles ont aussi largement promu, les unes les sommets, les autres les vagues — des quêtes encore confidentielles dans les années 70 qui se sont largement développées depuis, bien aidées par le développement massif des voyages en avion, du temps libre et de l’imaginaire outdoor.

Évidemment, qu’un jeune Youtubeur, au vocabulaire assez sommaire, parfois caricatural, issu de l’univers des réseaux sociaux, et, pour être tout à fait clair, de la banlieue, débarque pour « faire l’Everest » en partant de zéro, interroge, fait débattre, choque, ulcère. Sincèrement, dans le microcosme aux mœurs très territoriales de la montagne, personne n’en rêvait, préférant sans doute le récit idéal de The Alpinist, inspirant quoique magnifiant une fin prévisible, comme si la mort était un aboutissement.

Qu’Inoxtag ne parle pas d’écologie, n’en retire que des conseils de vie un peu simpliste, mais que tant d’autres ont donnés avant lui sans être traités de simple d’esprit, ne justifie en aucun cas le déferlement de critiques qui s’abat sur le jeune homme.

Pourquoi alors s’acharner sur ce jeune issu de la diversité ? Pourquoi ne pas défendre son parcours d’entrepreneur non diplômé ? Pourquoi ne pas en faire un exemple, quand, par ailleurs, tout le monde se gargarise avec l’inclusion, « l’accès au plus grand nombre » et autres idées « humanistes » qui foisonnent dans les réunions marketing ? Cela n’exclut pas de le critiquer raisonnablement.

Les déchets sur les pentes de l’Everest ne datent pas d’hier, que les jeunes générations ne sont pas responsables du cirque commercial qui s’y joue depuis des années. On pourrait en profiter pour disserter sur l’obsession du sommet.

Reconnaissons-lui le courage d’avoir entamé une démarche où il avait tout à perdre, de s’être fait accompagner par des gens compétents, d’avoir eu le désir d’apprendre. Reconnaissons-lui la force d’avoir osé et réussi. En ce sens, son film est fabuleux : la dureté de l’exercice est parfaitement palpable. Sincèrement, qui parmi les snipers qui le visent serait capable d’un tel parcours ?

Par ailleurs, on ne peut pas, en même temps, se lamenter que les jeunes soient absorbés par les écrans et vomir sur celui qui veut les emmener ailleurs. Inoxtag est touchant et attire le regard des nouvelles générations. N’en déplaise à ceux qui se voient comme les garants de l’orthodoxie.

La pratique sportive a beaucoup évolué et elle évoluera encore. Les Stone Masters n’étaient pas très bien perçus au départ, pas plus que les premiers surfeurs, catalogués comme des marginaux. La génération réseau arrive, et il va falloir lui faire de la place, lui faire aussi comprendre les usages. Certains repartiront très vite, c’est certain, d’autres liront peut-être Bonatti.

Pour conclure, la grande révolution des pratiques sportives est aujourd’hui celle des réseaux. Elle emboîte le pas à la transformation qu’a été le sport postmoderne. Elle va amener un public de moins en moins préparé, elle provoque déjà des flux plus importants, souvent issus des villes. On verra alors que l’accès au plus grand nombre, répété comme un mantra, est une aberration.

La prochaine étape, c’est peut-être Tomorrow Land au camp de base de l’Everest. Mais si l’on prétend l’éviter, il faudra comprendre les attentes des jeunes qui aiment et suivent Inoxtag, les transformer non pas en clients mais en jeunes gens conscients de la nature, et ne pas se contenter de leur faire la morale.

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