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La moto, la liberté, le sens du travail, le rapport aux objets et la société de consommation.

 

Vous auriez tort de penser que The Greasy Hands Preachers n’est qu’un documentaire sur la moto. Ce film, présenté en 2015, aborde le même sujet que le livre de Matthew B Crawford, « Éloge du carburateur » .

Laissé en libre accès pendant cette mise entre parenthèse du monde moderne que l’on vit actuellement (printemps 2020), par les réalisateurs Clement Beauvais et Arthur de Kersauson, il représente à nos yeux une excellente occasion de s’interroger sur notre société. Vous avez le trailer au début de cette analyse, le film complet (1h30) est tout en bas. 

De quoi parle ce film ? : au travers de la moto, de la liberté de choisir sa vie et un métier qui ait du sens.

C’est le propos même du livre de Crawford qui derrière son titre un peu abstrait pour les non-initiés, cache un véritable essai sur le travail et sa signification, et questionne d’une façon passionnante et très subtile sur : 

  • le travail manuel (bénéfice psychique, part cognitive)
  • la division du travail (manuel et intellectuel)
  • le rapport aux objets dans la société moderne
  • l’accélération de la consommation
  • la disparition de la réparation
  • L’invention de l’authenticité

Entre autre. Tout ça au travers de la passion pour la moto vintage. C’est remarquable.

The Greasy Hands Preacher, film à l’esthétique très cinématographique, n’est sans doute pas un documentaire très accessible, il a toutefois rencontré un vrai succès, il dépeint une réalité de la moto dans laquelle il n’est pas évident de se projeter, mais qui est la plus « engagée » et que les fans apprécieront. Ce rapport si particulier avec un engin, dans l’absolu d’une grande simplicité, qui n’a pas complètement été dévoré, ni par sa fonction, comme l’automobile, ni par le marketing. Engin qui a su générer différentes communautés, fédérées autour de l’objet en lui-même et motivée par sa capacité de transcendance. 

Le sujet, ces gens qui réparent et re-fabriquent, pose exactement la même question que le livre et c’est en cela qu’ils sont tous les deux visionnaires.

Le goût des motos vintage et de leur transformation, est une façon de se désengager du cycle infernal des nouveautés, souvent portées par la technologie et exploitées par le marketing, pour à nouveau privilégier le style (et non plus la performance pure) et une forme de simplicité. 

 

Il correspond aussi à un retour vers certaines valeurs et matières du passé, au désir d’une moto plus personnelle donc non plus issue d’une chaine de fabrication de masse. Le cuir, la tôle, les motorisations « simples » reprennent le dessus sur le plastique moulé et l’électronique. On célèbre aussi le retour du « stylisme » via des ateliers comme Blitz, Roland Sands, Wrench Monkeys et tant d’autres et du travail « manuel » comme démarche « intellectuelle

Le progrès technique, à fortiori à partir des années 80, s’est en outre accompagné, en moto, en voiture, mais aussi dans l’électroménager d’une impossibilité de réparer, enchainant inévitablement le consommateur (motard, automobiliste ou propriétaire de machine à laver) dans un lien direct avec la marque ou un réseau de distribution. Cette stratégie a profondément métamorphosé en l’espace de trente ans, le rapport à l’objet des nouvelles générations. Créant de la dépendance technique donc commerciale et favorisant l’obsolescence même si elle n’est pas toujours programmée.

A l’heure où le monde occidental, marchand, s’arrête, nous forçant à réfléchir sur la production, la consommation, sur le renouvellement permanent notamment des objets quels qu’ils soient, il est bon de revoir le film et de relire Eloge du carburateur. 

Dernier point et non des moindres, prêtez une grande attention à la partie qui traite de la vitesse au lac salé de Bonneville. Ecoutez ce commissaire qui parle de cet événement (connu depuis toujours par les afficionados) pour lequel les gens viennent du monde entier, mais qui ne propose aucun prize money. Les participants espèrent un record qui restera très « personnel », une coupe et c’est tout. Il y a matière à réfléchir aux côtés obscurs de la professionnalisation à outrance du sport et du sponsoring tous azimuts. 

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