L’apparition médiatique, je dis bien médiatique, de la slackline ou de son dérivé la highline est assez récente. Le point de départ est à mon sens la diffusion des premiers trailers du film de Seb Montaz « I believe I can Fly » dont nous avions abondemment parlé ici. J’avais d’ailleurs écrit que la très grande impression qui se dégageait de ce film, outre le fait la caméra (un reflex monté sur stabilisateur et très mobile) nous emmenait au coeur de l’action, était la démarche du groupe qui était filmé. La pureté de leur « intention » serais-je tenté d’écrire. Il est certain qu’il ne font pas ça pour brûler des calories ou finir premier sur une liste, on est plus proche de l’expérience esthétique et philosophique.
Voici un autre film d’une expédition montée par un groupe de jeunes tchèques en Iceland. C’est effectivement, dans l’esprit, à cheval entre une vraie expédition et un surf trip. Je vous invite à aller visiter leur site et leur blog, il y a d’autres vidéos à voir.
Le développement de la slackline touche en premier lieu les communautés de grimpeurs et autres passionnés de montagne. C’est un nouveau « jouet » issu d’un « milieu », celui des parois et du rochers et plus généralement de l’outdoor. Si c’est évidemment la partie extrême de la slackline qui investit les médias, il faut y voir plusieurs raisons : les images sont magnifiques, elles sont une bénédiction pour les chaines généralistes qui aiment digérer ce genre de visuels qui se suffisent à eux-même et qui vont scotcher aussi bien le facteur poitevin, la ménagère normande que la cadre sup parisien, ensuite, parce que la peur du vide parlent à tout le monde et transforme ceux qui s’en affranchissent en super-héros.
La slackline peut aussi se pratiquer au fond d’un jardin de banlieue parisienne à un mètre du sol, c’est une formidable école de maîtrise de soi. A ce propos, voici un très beau texte emprunté au blog Pied-main-tête. Il vous aidera à comprendre la démarche. Les slackliners ne sont pas des fous et la vidéo des Tchèques montrent aussi leur rapport à la nature. A votre avis, tous ces gens rêvent-ils que leur sport soit aux prochains Jeux Olympiques ? Assurément non, bien au contraire.
Le texte qui suit a été imprimé et exposé à l’exposition Des-Equilibres à la Fête de la Science. Merci à Alex Lena de l’Université Claude Bernard Lyon 1, merci également à Thomas et Laura pour leur aide. C’est un un essai poético-scientifique sur le déséquilibre
« Funambule »
Funambule. Funis le fil. Ambulare, se promener, marcher sans but. Le point de départ et celui d’arrivée ne prennent sens que quand la ligne est installée et n’acquierent de valeur que lorsque l’on tente de les relier. Peu importe que l’on marche sur un câble, une corde ou une sangle.
J’ai réfléchi à la théorie de cette traversée. Je me suis considéré comme objet soumis d’une part aux lois universelles de l’attraction, et d’autre part au jeu des forces contraires; celles qui en s’annulant me préservent de la chute. Je peux me représenter mon centre de gravité, le projeter sur la surface plane qui me soutient, et dessiner les flèches imaginaires, vecteurs d’énergies. Ces pensées n’ont pour but que de combler le vide qui me sépare de mon prochain voyage, car seule compte la pratique.
Mon entraînement m’a enseigné les mouvements et l’inertie, les tensions et les contorsions qui me mèneront de l’autre côté, mètre par mètre. Il y a le mouvement de mes bras et de mes jambes qui répartissent les masses, tandis que les ondulations du fil sont le miroir de ma gestuelle, de mes émotions. Mon souffle veille: rien ne se fige.
En tant qu’organisme vivant, je suis en évolution permanente. Chacun des battements de mon coeur, chacune de mes respirations, de mes pensées construisent un état nouveau. Chaque pas en avant est différent du précédent et met en question le suivant.
Le fil à hauteur d’homme n’est qu’un galop d’essai. Surplombant l’abîme, l’esprit, d’abord confondu, s’accoutume. La peur disparaît-elle totalement?. Seuls les oiseaux maîtrisent la démesure des verticales. Les hauteurs réveillent chez tous les animaux terrestres l’instinct de survie, profondément ancrées dans notre ADN. Le funambule ne fait exception que parce qu’il choisit d’embrasser cette peur, de s’y habituer, d’avancer en sa compagnie.
La phobie du vide s’atténue. Pourtant les émotions me submergent en de nombreuses occasions. La crainte de l’échec, l’espoir de la réussite, une prise de conscience soudaine de ce que je suis en train d’accomplir, disloquent ma concentration. Si mes réflexes me permettent de rester debout, il faudra encore revenir à l’écoute de mon corps, d’un système d’informations qui me porte et ce, autant de fois qu’il le faudra pour conquérir cette ligne.
L’Équilibre est un silence sur lequel aucun appui n’est possible.
Le funambule avance en jouant avec les déséquilibres, toujours plus proche de la voie médiane, sans jamais pouvoir s’y reposer.