À propos de ce film Indoor Generation :
- c’est un point de vue,
- c’est du marketing,
- le trait est forcé.
Le constat est cependant recevable. Ce film nous montre la part sombre d’une société de « l’intérieur », du peu de mouvement, de la dépendance aux écrans. Le décrochage avec notre milieu naturel, tel qu’il est interprété ici, interpelle.
Vie moderne déconnectée du monde réel
La part de nos vies qui se déroule en intérieur est devenue prépondérante. C’est d’autant plus vrai pour ceux qui habitent en ville, mais c’est encore plus préoccupant pour les enfants, car l’évolution des modes de vie fabrique des générations de plus en plus… confinées, ce terme tout nouveau, mais qui peut nous amener à relire le passé. Nous avions abordé le sujet dans « Le sport, le jeu, la santé des enfants, l’aménagement de la ville et l’interdit ». Aujourd’hui, on redécouvre pourtant les vertus de la lumière, on recommence à considérer que le corps et l’esprit ont des besoins qu’Amazon ou Netflix ne peuvent délivrer, on devine aussi que sur le plan de l’imaginaire, mais aussi de la prise de conscience de son propre lieu de vie (la Terre), le contact avec la nature et ses réalités sont nécessaires aux adultes, mais bien sûr aux enfants également.
Post-Covid-19
L’épisode Covid-19 va pourtant accroître le sentiment d’insécurité, les réflexes de repli, la volonté de se protéger ou de protéger les siens, notamment les enfants, sans doute de façon encore plus appuyée dans le domaine du sport. C’est un secteur où les parents ont plus facilement la possibilité de faire des choix et peuvent arbitrer directement. Par ailleurs, la ministre déclarait, en mai, qu’en l’absence de vaccin, la reprise des sports collectifs semblait compromise. Elle a finalement été actée en juin, sauf pour les sports de combat cependant. Le principe de précaution plane et c’est compréhensible. C’est ce que nous avions pressenti dans notre dossier prospectif « Sport : l’effet Covid ». Pourtant, le sport est, pour beaucoup, l’occasion de « sortir ».
Le danger, c’est donc toujours plus de « précautions », donc d’intérieur. La digitalisation de l’expérience dont nous avons parlé dans notre webinar, aussi intéressante soit-elle, apparaît quand même comme une sorte de dystopie moderne supplémentaire. Malgré tout, le monde du sport et les fédérations voient dans les datas, le sport connecté et la « fan experience » un nouvel eldorado. Ils ne pensent pas clients (vous), mais business (eux).
Milieu naturel
L’humain a pourtant un réel besoin d’extérieur, de lumière naturelle, de vent sur le visage, de contact avec les éléments. Ce sont des besoins inhérents à notre « nature animale ». Ils semblent d’autant plus importants aujourd’hui. L’humain s’est pensé supérieur à son « milieu ». Notre civilisation, parce qu’elle a cru que la modernité lui apporterait tout, lui autoriserait tout, a perdu jusqu’à la notion même de son « environnement ». Il est donc important de le rétablir, de le développer de nouveau. Le sport peut être utile, nous en sommes convaincus, parce que sa pratique en général nous montre que nous ne sommes pas tout-puissant (lire ici), parce que les sports de nature entretiennent un lien privilégié au monde. Henri David Thoreau a d’ailleurs été précurseur dans ce domaine.
Point de vue philosophique
Baptiste Morizot, maître de conférences en philosophie à l’Université d’Aix-Marseille, consacre ses travaux aux relations entre l’humain et le vivant. À quelle prise de conscience nous amène-t-il ? Dans l’émission La Grande Librairie, en mai dernier, il déclarait : « Nous avons décidé que les dix millions d’autres espèces de la planète, constitueraient une sorte de décor, que l’on appellerait la nature. » Il ajoutait : « Je crois que nous sommes la seule société à avoir inventé l’idée que nous ne devrions pas avoir d’égards vis-à-vis du monde qui nous a fait. »
Ce qui nous a semblé intéressant dans son discours, c’est que non seulement il est porteur d’une connotation positive, mais que l’ensemble du vivant – il parle aussi du végétal – fait que le monde est « vivable » pour nous. La relation entre ce film et ce philosophe pour nous est claire, d’autant plus après le confinement. Nous avons besoin de reconstruire le lien avec notre environnement, ne serait-ce que pour apprendre à ne pas le détruire. Nous avons besoin de reconsidérer notre place. Or, le sport est une manière de se sentir vivant, notre corps est un moyen de rester en contact avec notre part animal (le mouvement, le froid, le chaud, la soif, la fatigue, etc.). Le sport nous apprend les limites : les nôtres et celle du monde. Les montagnes résistent aux alpinistes, les pentes éreintent les cyclistes, la vague avale régulièrement le surfer, le vent glace l’ultra-trailer, le chrono ou le mètre montrent à l’homme sa puissance réduite. Le sport, au lieu d’être uniquement porteur d’une philosophie de conquête, de record, doit nous aider à retrouver le contact avec notre réelle dimension. Porter des valeurs à enseigner et à transmettre.
Vers un nouvel imaginaire sportif ?
L’accélération de la prise de conscience mondiale des problèmes environnementaux (dont on parle depuis la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui a eu lieu à Rio en 1992) a eu lieu pendant l’été 2018. Les objectifs de développement durable et la RSE sont des premières étapes. La crise de la Covid-19 aura marqué l’année 2020 et elle porte un lien avec les atteintes à l’environnement. Tout ceci modifiera lentement les choix de mode de vie, de consommation aussi. C’est aussi une occasion supplémentaire d’inventer progressivement, un nouvel imaginaire sportif. Non plus uniquement basé sur la conquête et la performance, donc attaché au progrès, mais sur une sorte de resynchronisation avec non seulement la nature, mais un idéal sociétal un peu plus soutenable. Cet imaginaire sportif émergera de toute façon et les sports qui ne l’auront pas anticipé pourraient bien tout simplement disparaître, devenir anecdotiques, avatars d’une époque révolue.