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Naish a t-il remplacé Tabarly ?

Archives codezero. Billet initialement publié le 3 juin 2015.

C’est une formule bien sûr, ACDC n’a pas « remplacé » Mozart non plus, mais elle est révélatrice d’un changement qui s’est amorcé au tout début des années 80 et dont les effets ne cessent de se faire ressentir. La question que sous-tend la vidéo « Search for Freedom » est en effet la suivante : « où est la liberté ? »

A ceux qui souhaiteraient déconstruire d’emblée le propos en affirmant simplement que Robby est l’emblème de la planche à voile, phénomène explosif mais daté, qui n’a cessé ensuite de perdre du terrain, nous conseillerons cependant de poursuivre la lecture. Naish est aujourd’hui, surtout l’emblème des boardsports, ce nom est devenu une marque qui a su se diversifier. Naish, ce n’est déjà plus Robby, c’est Kaï Lenny, le SUP, l’avenir..

Première précision, si nous convoquons Tabarly plutôt que Moitessier, ce n’est pas sans raison mais pour renforcer le propos. Il est en effet plus délicat de déboulonner la statue de Tabarly, qui a réussit à symboliser à la fois la liberté et la performance. Tabarly était bien en phase avec son époque, avec la France des trente glorieuses, avec une certaine idée du sport liée à la discipline, l’effort, la hiérarchie voir l’ordre. Le breton était militaire rappelons le, il était visionnaire aussi, il a contribué a propulsé la voile dans la modernité. A l’inverse, Moitessier, pourtant plus vieux, mais installé dans la mouvance des années 60/70 peut passer à postériori pour le hippie de service. Il refusait le monde. Il aurait pu être surfer, en tout cas il était libre.

Revenons-en à Naish et à ce teaser. « A la recherche de la liberté ». Le slogan colle parfaitement à ce que l’on peut encore appeler les sports de glisse, concept que l’association Uhaïna d’Yves Bessas et de Maritxu Darrigrand a formulé aux tous débuts des années 80, parfaitement analysé et mis en mots un peu plus tard par Alain Loret dans le livre Génération Glisse.

L’idée de cet édito n’est pas de dire que la glisse a toutes les vertus, qu’elle matérialise la modernité, la liberté quand la voile ne le ferait pas. Absolument pas. L’idée est de mettre en lumière la fracture idéologique, philosophique et générationnelle qui s’est peu à peu creusé entre la voile et la « glisse », et de mieux appréhender les enjeux actuels. Car ceux qui sont la génération Robby, celle qui a appris à voir la mer à travers cette mouvance, ont aujourd’hui au minimum 45 ans. C’est le grand impensé des professionnels du nautisme aujourd’hui. Les vieux d’aujourd’hui ne sont plus les vieux d’hier et il ne reste plus longtemps avant l’iceberg. Le changement massif de comportement du à un changement de génération

La voile représentait à l’orée des années 70 l’idée de la liberté. La mer était immense, les bateaux plus petits, la notion du « voyage » initiatique ou pas n’avait pas encore été totalement remplacée par la réalité du « tourisme ». La voile était LA façon d’épouser la mer. La seule. Ce n’est plus le cas.

Passons au plan idéologique. La course que les voileux ont eux-même désignée comme iconique est une épreuve dans laquelle, depuis toujours, les puissants et autres milliardaires vont faire s’entrechoquer leurs égos par l’intermédiaire de leur masse financière. Pas seulement sur l’eau, loin s’en faut puisque ce combat dans lequel tous les coups sont permis, surtout les plus tordus, peut se jouer pendant des années sur le tapis vert et dans les couloirs des grands cabinets d’avocats. La Coupe de l’America, c’est Wall Street sur l’eau. Ni plus ni moins.

Les français ont eu le bon goût d’inventer la course au large et le Vendée Globe. S’il est une seule course au monde qui symbolise le tête à tête entre l’homme et les océans, la liberté justement c’est bien le « Globe ». On peut raisonnablement être fier de cette belle idée. Le seul problème, c’est même un mauvais pied de nez à Bernard Moitessier le puriste de la circum-navigation, est que la course s’est pliée aux lois du marché. La liberté des skippers est contractuelle. C’est une liberté surveillée, car l’image même de cette liberté a été déléguée au marketing. Certes, il faut vivre avec son temps. Libération avait même fait un très beau sujet sur ce paradoxe. Toutes les « marques » qui s’impliquent dans la course au large au point de la dévorer, incarnent ce que Moitessier se proposait de fuir. D’une certaine manière, la voile n’est plus ce qu’elle était mais il ne faut pas forcément en faire une lecture négative. Le monde change. La course au large se portent très bien parce qu’elle est passionnante et que c’est de l’achat d’espace. D’une certaine façon, la course eu large est une bulle, espérons qu’elle ne soit pas spéculative.

Quand Patagonia impulse une vraie réflexion dans sa campagne, une réflexion en accord avec les changements à venir, où est l’équivalent dans la voile ? Peut-être du coté de l’association watever. A l’heure où les parallèles désobligeants entre le C.I.O donc la substance même de l’Olympisme et une F.I. F.A gangrénée par la cupidité et l’affairisme s’effondre minée par son propre aveuglement, quel « idéal ajouté » propose l’olympisme ?. Qui croit encore à ce beau rêve certes mais un peu faisandé à part des gamins qui n’ont pas encore vu ou ne veulent pas voir l’envers de la médaille justement ?

Revenons en au terrien lambda qui veut toujours « aller en mer » pour exploiter sa liberté. La voile est toujours porteuse d’un rêve mais est-il toujours adapté aux attentes pressantes du monde d’aujourd’hui, aux contraintes qui prolifèrent, aux taxes. Un voilier est même devenu ce qu’on appelle sur le plan comptable au mieux un investissement, une stratégie de défiscalisation, au pire une immobilisation. Un comble. La vente des voiliers traduit directement cette idéal qui n’est plus dans l’air du temps. C’est une baisse structurelle, elle durera. Des grands patrons, des VIP mais aussi beaucoup de CSP + lambda s’affichent comme kiteboarders. Des club de dirigeants qui font du kitesurf existent aux USA, en Europe, Laurent Houitte vient de créer Kite & Connect en France. Pourtant les institutions pensent encore majoritairement que la « glisse » est un truc de jeunes et qu’au prix de quelques efforts de com’ ils pourront siphonner  cette audience pour l’envoyer vers la voile plus tard. Stratégie mortelle.

Ce que raconte Naish dans ce teaser, c’est la liberté justement. C’est aussi ce que dit Youri Zoon, double champion du monde de kite dans le making off d’une publicité pour Biotherm. La liberté, c’est ce que les passionnés de mer vont chercher sur l’eau. Mais nous ne sommes plus en 1970. Tabarly est né en 1931, Moitessier en 1925. Beaucoup de paramètres ont changé. Même la « glisse » d’aujourd’hui ne perdure pas sur les mêmes bases qu’en 1980.

Pour rester en contact avec la réalité, le « nautisme » reste une grosse industrie même si sur le plan mondial, il a perdu 60% de son chiffre d’affaire depuis 2008, peu de secteur ont été aussi impacté par la crise. La voile et le bateau à moteur représente beaucoup d’entreprises de toute taille, des marques, des distributeurs, des services, des emplois, une vrai dynamique, tandis que la glisse demeure, comparativement une épicerie. Il faut savoir toute proportion garder…

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