Archives codezero. Post initialement publié le 24 mars 2014. A l’heure du (pot de) départ du Rhum, c’est synchrone… Aujourd’hui, 8 mars 2016, nous avons juste ajouté une phrase pour sa mise à jour, alors qu’Alex Thomson dévoilera bientôt une nouvelle vidéo. Wait and Sea….
Par deux fois, Alex Thomson et son équipe, ont réalisé des coups médiatiques sans précédent dans le monde la voile.
La première fois, le navigateur pose débout sur la quille basculante de son voilier. Un détail est important, le sponsor est Hugo Boss, le skipper est en costume haut de gamme, noir bien sûr, la quille est massive et orange et enfin le graphisme du bateau est une réussite ( sa peinture ou sa « décoration » si vous préférez) . L’image est superbe, percutante surtout. Elle fait le tour du monde.
Le mois dernier, Thomson remet le couvert mais passe un cap. Il est photographié et filmé debout en haut de son mât, toujours en costume. C’est autant la performance que le visuel, symbolique, sublime, surprenant, bluffant, comme l’autre, qui fait le succès de cette nouvelle initiative qui – same player shoot again – fait à nouveau le tour du monde à la vitesse du net. Le grand public adore, le monde la voile applaudit mais s’étonne presque. Certains minimisent, parlent de « cascade » c’est péjoratif, ou de buzz « pour pas grand chose ». S’étonner qu’un sponsor cherche à faire de la com’ à l’heure de la GoPro nous laisse dubitatif, mais le journalisme a aussi son arrière garde. On remarquera que c’est dans un magazine qui a coulé depuis. La voile est étonnement restée sur les valeurs qui régissent le sport traditionnel : la performance, le classement, les records et d’une certaine façon, l’entre-soi.
Alex Thomson court en Imoca, il se prépare pour le Vendée Globe. C’est un compétiteur mais c’est sans doute un des premiers à avoir su sortir de la communication « habituelle » que pratique le monde de la régate. L’identité de son soutien financier n’y est pas étrangère. Une marque comme Boss a l’habitude de la communication à grande échelle, mais surtout elle ne perd jamais de vue qu’elle a besoin de messages qualitatifs. En ce sens, le coup du mast-walk est non seulement osé mais élégant. L’image a de la hauteur dans tous les sens du terme. Elle est en phase avec l’identité de Boss. De plus, associer l’élégance à la voile n’est ni anodin ni déplacé. On peut noter que ce visuel se suffit en lui-même. Peu importe que Thomson court en Imoca (qui sait vraiment ce qu’est la classe Imoca d’ailleurs dans la stupéfiante diversité des catégories de bateaux) ou se prépare pour le Globe.
Le beau geste, le symbole, se substitue à la compétition. Voici un extrait de : « Nouvelles consommations sportives et nouvelles stratégies industrielles » par Alain Loret, professeur à l’université de Rouen. Si vous trouvez qu’il ne colle par parfaitement à la vidéo ci-dessus, n’hésitez pas à vous en expliquer en commentaire.
« Après le règne des « gagneurs » la pratique du sport se centre aujourd’hui sur des thèmes plus impressionnistes, plus cool, plus fun. L’éclate, le pied priment nettement sur la réussite agressive et la victoire brutale. La performance devient esthétique. Le style personnel, la figure libre, renouvellent les exploits réglementés, comparés et arbitrés d’hier. La recherche de la sensation ou d’impressions plus ou moins vertigineuses s’oppose au classement, à la hiérarchie, au record. Les maîtrises sportives d’antan étaient déportées des pistes balisées et des couloirs règlementés vers des sites extrêmes que l’on transforme et que l’on transgresse. En réalité, la glisse se présente avant tout comme une revendication d’autonomie. Elle rejette les tablettes de records, les techniques répertoriées, les rapports arbitrés et les mesures précises. Elle revendique l’audace contre l’aptitude et l’impertinence contre la normalisation des comportements ».
Quand Alex Thomson monte sur sa quille ou son mât, il se rapproche davantage des codes qui ont cours dans la glisse et les sports alternatifs. La culture du beau geste, l’image qui frappe les consciences juste pour ce qu’elle est. Un truc un peu dingue à l’instant t. Et ça marche… tant mieux
Dans les années 80, c’est à dire aux heures de gloire du windsurf, quand Mauï et le spot d’Hookipa était le chaudron dans lequel on forgeait les virus visuels qui ensuite parcouraient le monde, un rider au peu à part, Mike Eskimo, fabriquait des images décalées avec le plus souvent Sylvain Cazenave (que je salue au passage) à l’époque photographe de WIND magazine comme efficace complice. Eskimo était un bon wave rider, mais avaient beaucoup plus de parutions que beaucoup d’autres windsurfers, souvent techniquement meilleurs que lui, tout simplement grâce à la singularité des visuels qu’il proposait. Alors même que le windsurf transmettait déjà un esprit décalé et des photos folles à longueur d’années. La suite a montré qu’Eskimo avait une âme d’artiste qui collait bien a son image de soul surfer « bohémien », nous le qualifierions ainsi. Quelque part, Thomson nous fait penser à Eskimo. Il nous fait prendre un peu de recul.
La démarche pose aussi la question de ce que la voile a à transmettre. L’image de Thomson en haut de son mât a quelque chose de fort qui ne tient pas uniquement au risque qu’il prend. C’est osé, élégant, détaché, ça a quelque chose de « romantique». Autre exemple pour étayer mon propos. Les italiens aiment la voile et les belles choses. Prada s’investit dans la Coupe de l’America et nous gratifie d’un bateau au design sublime et se sert de l’image du marin dans les médias pour promouvoir un… parfum.
En France, la réalité est différente. Les sponsors sont des éleveurs de poulets, des assurances, des fabricants de produits pour le bâtiment, des marques de vérandas, du fromage, des cheminées, du recyclage, des sandwichs d’autoroute, des banques, un distributeur d’énergie etc…. C’est tout ou partie du monde que l’on se propose de fuir quand justement on aime le bateau qui sous-tend l’idée de « prendre le large » au propre comme au figuré. Mais il faut accepter la modernité qui veut que quelqu’un paye les budgets des bateaux de plus en plus sophistiqués, performants mais couteux. L’ère Moitessier est révolue.
Reste que la voile a un potentiel inouï. Que des milliers de personnes puissent venir parfois au milieu de la nuit à la rencontre d’un mec à peine visible, qui allume deux fumigène sur un bateau, voile affalée, qui arrive au ralenti, montre qu’ils se projettent dans ce qu’est l’aventure dans sa totalité, à peine suggérée dans l’image, non-événement, de l’arrivée. Le tour du monde en 45 jours de Banque Populaire a également fait un carton, ne l’oublions pas.
Belle matière à réflexion pour les communicants…