Le vélo est un objet simple à la réalité complexe.
Pour les enfants, il commence par être un peu plus qu’un jouet, en fait le « véhicule » des premières sensations de risque, d’équilibre, de réussite et liberté. Le vélo rétrécit les distances et agrandit votre monde. Plus tard, il devient synonyme de mouvement au sens large du terme, de déplacement, un sport pour certains, une expérience pour les plus chanceux ; il est aussi un simple moyen de transport – et un moyen simple de transport – pour les pragmatiques.
C’est notre sentiment, nous avons déjà défendu cette thèse, la vision du vélo par les Français est marquée par l’énorme empreinte du Tour de France. Ce n’est pas une critique, mais un constat. Les aspects positifs sont nombreux (images, retombées économiques), mais le vélo est donc en grande partie assimilé au sport, à la pente, à la compétition, à l’exploit associé en conséquence à l’effort, à la distance, à la durée et à la souffrance. S’y ajoute aujourd’hui la transgression. Pour pédaler, être humain ne suffit pas, c’est finalement ce que dit à nos inconscients, toute l’histoire interminable du dopage.
Autre point de vue si vous le voulez bien. Jusqu’à l’arrivée du vélo à assistance électrique, la bicyclette n’était pas considérée en France, contrairement à d’autres pays (nordiques, mais pas seulement loin s’en faut) comme un moyen de transport. Le VAE minimisant l’énergie à fournir et le succès étant là, le vélo allégé de l’effort et de cette conception judéo-chrétienne le valorisant, redevient séduisant, car dans l’air du temps. Matière à réflexion.
Il y a d’autres cultures du vélo, c’est tout l’intérêt de cette série sur ARTE, que ne veut pas voir notre technocratie sportive, c’est bien le sujet de cette analyse.
En France, et dans le cas du vélo, l’objet sportif a pris le pas sur le reste, depuis longtemps. En effet, les fédérations, même si elles ne représentent qu’une partie de la pratique sont puissantes, leur pouvoir et à minima leur influence peuvent aller très loin. Vous souhaitez un exemple ? En ce moment même, une lutte sans merci oppose la fédé du vélo et celle de la moto pour le contrôle du vélo électrique. La FFM essaye de verrouiller les noms de domaine associés au VAE. Demain, vous en pâtirez peut-être parce que le VAE perçu comme un engin motorisé sera davantage « interdit ». Gageons que les instances du vélo (FFC rebaptisée FFvélo), obnubilées comme les autres par les J.O et la vision de Coubertin s’avanceront dans d’autres impasses.
Revenons à nos moutons. Il y a d’autres visions du vélo, c’est ce que nous suggère cette superbe, magnifique, inspirante série diffusée sur ARTE. Les Californiens ont inventé le BMX, le vélo tout-terrain, les New-Yorkais se sont inspirés des étudiants de Trinidad et de Jamaïque pour imaginer la culture du fixie, ce vélo dépouillé de tout.
Le fixie, un vélo de piste à pignon fixe, sans frein, détourné par les coursiers new-yorkais, est devenu en quelques années l’icône du retour du vélo dans les villes. Tout y est : la vitesse, le sport, le danger, la ville, le style. Tout pour créer un mouvement, une culture et par là même réinviter toutes les autres familles du bicycle à récupérer ce territoire urbain.
Il y a d’autres façons d’appréhender le vélo et à un moment où beaucoup de français le redécouvrent, à une époque où il va falloir redessiner la ville, où les milieux autorisés comme disait Coluche veulent réinventer le sport, il faut comprendre que le vélo est au carrefour de plusieurs mondes : la mobilité, le sport, le jeu et le trans-sport ® cher à nos amis de Transit City.
À vingt ans, dévaler les collines avec un vélo sans frein, c’est tentant
Prenons le cas du fixie et on vous laisse le loisir de découvrir le reste, c’est-à-dire les épisodes sur le street BMX, le trial, Copenhague, l’art et le Pop Culture. Le vélo sans frein ni vitesse est marginal en France. Tout au mieux il est perçu comme une anomalie de Parisiens et de bobos. Voir les deux.
ARTE nous emmène à New York. On découvre ce qu’est le fixie, d’où il vient. Des étudiants jamaïcains et trinidadiens venus de l’univers de la piste et qui faisaient les coursiers. On rencontre d’autres personnages de cette culture qui n’est pas qu’urbaine mais qui rappelle le skate. Des mots forts sont prononcés. Des mots clé : #ville #singlespeed #simplicité #essentiel #quotidien #sensation #symbiose #pilotage #influence #culture #traffic #anticipation #héritage #piste #circulation #libre #course. On comprend que ce n’est pas superficiel, on devine que ça pourrait dépasser le cercle des initiés si quelqu’un se donnait la peine d’en parler plus largement.
Alors quand ARTE lève le voile sur une culture, riche, attirante, on applaudit. On part pour New York, San Francisco, Copenhague ou Berlin. Avec des jeunes qui expliquent en quoi l’absence de frein les attire et ouvre de nouveaux horizons liés à la glisse, au snowboard, au ski, au drift. Laissez-nous un peu de temps, et on vous trouve un lien avec le flat track et la moto. Chez Deluxe Cycle, lieu hybride dont on parlait ici même en 2014, on expose, on cause design, art, mode. Culture transversale, globale, urbaine.
Au même moment, ici même, le cyclisme qu’on nous rabâche à la TV pédale toujours dans le dopage avec encore de nouveaux soupçons entourant Froome. Des passionnés relancent la marque Louison Bobet, coureur français né en 1925 et qui brilla sur les routes du tour au début des années 50. Ce n’est pas une critique, il y a un cyclisme 2.0 (Rapha, le Café du cycliste, le magazine 200…) qui nous plaît, nous y reviendrons. On souhaiterait juste que toutes ces cultures puissent réellement exister et cohabiter en France.
Le fixie, comme le BMX, comme d’autres approches du vélo (nous avons parlé de Bikestormz à Londres) n’est pas centré sur la performance, le classement et le reste. Il est lié à la ville, à sa culture, à l’art. On peut ne pas aimer, mais la proposition est rafraîchissante. Comme le dit si justement Alain Loret sur le compte Twitter de SWI : « L’assignation au sport disciplinaire telle que proposée majoritairement en France correspond-elle toujours à la demande sociale ? ». Le propos peut paraître incisif, il traduit bien la réalité même si celle-ci n’est pas perceptible par ceux qui ne voient le sport qu’au travers des institutions classiques. Le vent de liberté et d’autonomie qui s’est fait jour dans la société il y a déjà longtemps n’a pas ou très peu été intégré par ceux qui gouvernent le sport mondial, national et même local. Nombreux sont ceux qui aspirent à une démarche sportive qui soient accompagnée d’une culture moderne, nombreux sont ceux qui veulent vivre, s’épanouir et ressentir via le sport. Nombreux sont ceux qui veulent être libres.
C’est le déclin de la discipline au profit de l’autonomie. Quand il n’est plus question de se contenter de ce qu’il est permis de faire pour consacrer à ce qu’il est possible de vivre
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