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Quand sport et société se contredisent

Nous répétons souvent avoir des convictions et non des certitudes. Parmi ces convictions, la nécessité de porter une autre vision du sport, déconnectée du haut niveau, de la performance absolue et de la hiérarchie que représente le classement. Non pas qu’il faille diaboliser le système mais bien avoir une proposition complémentaire. Sans tomber dans une vision politisée, nous pensons que le sport dit le contraire de la société, puisqu’il promeut un discours sur l’élite, par ailleurs irrecevable en France quand on parle justement éducation par exemple. En outre, cette vision complémentaire du sport, cette proposition alternative existe déjà. Ce sont les sports libres et les pratiques alternatives comme le yoga, centrés sur la sensation, l’équilibre, le travail sur soi sans forcément références comparatives aux autres. Analyse VISION de Novembre 2017.

Mon corps est usé, j’ai sept ans à tenir. (Le Monde du 19 novembre 2017)
Le Monde titre sur cette phrase, c’est assez réducteur, elle ne résume pas ce que dit l’athlète. Teddy Riner parle de sa vie, de l’exigence mais aussi de tout ce que le sport lui a apporté. Ce qui ressort, c’est le plaisir, l’accomplissement, le parcours. Néanmoins ce qu’il déclare concernant sa souffrance, l’autre « résultat », ce qu’il nomme lui-même comme le prix à payer, est signifiant. C’est la raison pour laquelle nous revenons sur cet aspect des choses.
Je dois économiser mon corps. Après plus de dix ans sur la scène internationale, il est déjà pas mal usé. Je n’ai plus beaucoup de cartilage, j’ai de l’arthrose dans les épaules et les genoux. On m’injecte un gel contenant de l’acide hyaluronique pour que je sente moins de douleurs, que je « couine » moins… Le sport de haut niveau, c’est ça. Des efforts intenses répétés quotidiennement. Je vais avoir de plus en plus mal, j’essaie de ne pas y penser. La souffrance, c’est le prix à payer.

Teddy Riner est le parfait exemple du sportif qui fait rêver. Doté d’un potentiel personnel (ADN) sans doute exceptionnel, issu d’une famille qui l’a compris et soutenu intelligemment, capable de beaucoup de travail, de sacrifices, intelligent et volontaire, Riner est une suite d’exceptions qui s’est invitée durablement au sommet du monde. Au point d’en devenir une légende.

Les mots ont une signification et à ce point de vue, le sport de haut niveau ne s’embarrasse pas de faux semblants. Il est question de détection, de sélection, de travail, de sacrifice, de mise en concurrence directe puis d’élimination. Et ce avant même une compétition et tout au long d’une carrière où rien n’est jamais acquis. En outre, la durée de vie sportive est courte, inexorablement, d’autres seront détectés, sélectionnés, entraînés, motivés. Dans le sport de haut niveau, l’objectif – les fameuses médailles – justifie les moyens. Le système est ainsi, il est implacable, la réussite des uns fait la une des journaux, le reste demeure dans l’ombre.

Que dit de son côté la société et en particulier le système éducatif. L’idée n’est pas de porter un jugement, ni sur le sport, ni sur l’éducation, mais de comparer. L’élitisme qui n’est qu’un autre mot pour désigner le haut niveau (intellectuel cette fois) est un sujet tabou à l’école. La sélection n’est pas pensable, on flirte avec le déni même si elle adviendra de toute façon tôt au tard. Les classes, en premier et second cycle, sont organisées sur la base du mélange des niveaux. La mixité des compétences étant censée favoriser les chances du groupe, après tout on peut le souhaiter. Les moyens sont mis pour soutenir les zones difficiles, en sport c’est plutôt l’inverse. Les universités, certaines tout du moins ont également préféré le tirage au sort plutôt que le choix sur le profil, les compétences, les prédispositions. Le sujet fait encore débat il y a peu. Pour résumer, le système éducatif s’organise pour donner une chance à tout le monde. On peut s’en féliciter même si la fameuse égalité des chances est une fiction sociale dans la vie comme en sport et qu’on devrait promouvoir la diversité des chances s’accordant à croire sur la diversité de l’humain. Mais là n’est pas le sujet.

Entendons-nous bien sur le but de ce parallèle. Tout le monde souhaite voir Riner gagner un titre olympique (comme tout le monde a envie que le système éducatif fonctionne au mieux) mais le judoka est un des exemples qui met en lumière à notre sens, une vision inversée, des valeurs antagonistes dans le sport et la société. On peut également s’interroger sur un système élitiste, qui de surcroit abîme ses athlètes, c’est en cela que le haut niveau est discutable, ce n’est pas nouveau. C’est ce dont parle d’ailleurs Stéphane Praoïa dans son livre « La face obscure de l’élitisme sportif ». Synonyme de gloire et de dépassement des limites, l’exploit sportif cristallise les rêves de la société contemporaine mais à quel prix ?

Venons-en à notre opinion. Ce qui nous interpelle, ce qui est vraiment important. Aujourd’hui, la compétition et le haut niveau gardent une valeur d’exemple et d’idéal dans le sport français. Ils formatent grandement l’idée du sport que l’on transmet aux jeunes. Ne serait-ce que parce que la compétition et les champions sont fortement médiatisés, que leur réussite transforme le sport en un ascenseur social magique, qui autorise à rêver de gloire et d’argent d’où que l’on vienne. L’idée est noble, mais les élus rarissimes. Les institutions cherchent d’ailleurs des exemples comme Riner pour doper les vocations, attirer de nouveaux licenciés mais que deviennent-ils plus tard.

  • avec quel discours les nourrit-on ?
  • vers quel idéal les dirige-t-on ?
  • et surtout quelle réalité vont-ils trouver ?
  • Une question par ailleurs : pour quelle raison le sport à l’école a si mauvaise presse auprès des élèves. Il ne devrait pas si la représentation dominante du sport était à ce point en phase avec les rêves des jeunes. Peut-être parce qu’elle ne colle pas aux aspirations du plus grand nombre.

Le sport de haut niveau, et dans une moindre mesure, le sport de compétition dit le contraire de la société, c’est un fait, nous pensons qu’il faut réfléchir à cette contradiction.

Les évolutions sociétales des quarante dernières années ont accouché de tendances sportives pour lesquelles la confrontation n’est plus essentielle et si le haut niveau persiste dans ces nouvelles disciplines il n’est pas le fruit du même mécanisme et chacun peut vivre sa pratique comme il veut. D’une manière générale, celle-ci sera plus structurante, moins verrouillée par des codes anciens. Une partie des pratiquants trouvent à s’exprimer dans la confrontation, dans le sport normé, une infime partie trouvera sa voie en compétition quand beaucoup, d’autres seront rejetés, ou s’en détourneront avant même le premier pas, ne se retrouvant pas dans cette vision sportive. Sans doute pour les raisons évoquées. La contradiction entre le sport et la société. Ouvrons le débat.

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