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Le surf à l’heure du paradis artificiel

Les temps changent. La société se métamorphose, les désirs mais aussi les contraintes de nos vies ne sont plus les mêmes. La nature du sport évolue tout comme la façon dont on le pratique. Beaucoup de disciplines vont vers plus de liberté, certaines font un chemin plus inattendu. Le surf, issu de la contre culture, sera sport olympique, en 2020, à Tokyo. Le message est très signifiant : le surf entre au moins en partie dans la norme d’un sport mondialisé, structuré et commercialisé. Il n’y a pas forcément relation de cause à effet, l’idée de « fabriquer » une vague ne date pas d’hier, mais la connexion va devenir évidente. La vague de demain sera maîtrisée, artificielle, mais aussi accessible, modulable, sans doute un jour ou l’autre urbaine, inévitablement payante. Le surfer de demain sera différent et connecté.

La notion même de vague «artificielle» peut sembler étonnante et son existence en décalage avec les valeurs fondamentales que véhiculait le surf jusqu’à présent. Comment cette discipline si symbolique, synonyme de liberté, d’évasion, de confrontation avec la nature, de voyage et de découverte, pourrait-elle s’accommoder et même s’épanouir au sein d’un espace limité, rythmé par un pulsation mécanique ?

Comment le surf qui a traversé les cinq dernières décades sur un imaginaire bien spécifique, souvent idéalisé par les surfers eux-mêmes, les médias et les marques, pourra t-il se marier avec son contraire. La technologie, la piscine, le contrôle, la marchandisation ? Le surf a matérialisé une forme de contre-culture sportive, voire une contre-culture en lui-même, une façon de fuir la société et d’aller au devant du monde. Le surf n’était pas qu’un sport, c’était un « usage du monde », un «style de vie». Un acte, la poursuite d’un geste. Il était synonyme de voyage, d’absence de convention, de liberté, de chaleur, de jeunesse, de vagues de rêve et de corps parfaits.

En réalité, les raisons sont nombreuses mais on ne pourra éviter le parallèle avec la grimpe :

  • Les temps changent, le surf évolue et ses «promoteurs» veulent de la croissance. L’olympisme reste une forme de reconnaissance, un graal pour les sportifs. Et une solution d’ouverture pour des nouveaux marchés. Nous sommes dans un monde marchand…
  • L’endless summer est un récit. Le story telling du surf du marketing également, un idéal préfabriqué ne soyons pas dupes.
  • Les surfers ont toujours rêvé de la vague parfaite.
  • Le rapport à une activité, quelle qu’elle soit n’est plus la même. Nous sommes dans l’ère du plaisir immédiat.
  • La nouvelle génération, avide de sensation et de sport connecté, est déjà là

Ce n’est pas un détail. Kelly Slater l’icône du surf est le principal promoteur de la vague artificielle via un projet auquel il est directement lié mais derrière lequel plane l’ombre du surf mondial, le WSL. Les espagnols de Wave Garden sont aussi bien avancés. Davantage même puisque leur modèle technologique est déjà exploité.

Evolution inévitable
La vague est une ressource finalement rare et aléatoire. Ce qui en fait sa valeur. Au début le surf n’était pratiqué que par une poignée d’initiés. C’était le temps des pionniers, de l’exploration. Le surf s’est depuis beaucoup développé, les acteurs du surf, les marques, ont tout fait pour le transformer en business. Les surfers sont de plus en plus nombreux nombreux au lineup ce qui ne va pa sans poser des problèmes de cohabitation voire d’accès. Beaucoup de déferlantes ont été découvertes de part le monde mais la pression démographique n’a cessé de s’accroître sur tous les spots ou presque au point de dénaturer le sport lui-même. Le localisme en étant le premier symptôme. Il y a peu de réponse à ce problème majeur du surf et il y a peu de monde pour l’évoquer vraiment. « Fabriquer » des vagues peut sembler être en décalage complet avec l’esprit initial du surf mais c’est tout simplement l’avenir. Davantage de vagues..

Raisons sociétales
Les évolutions de la société ont des répercussions sur les besoins sportifs. Si le surf et les autres sports de glisse se sont développés dans les années 80 en fondant leur identité sur des valeurs nouvelles, la liberté notamment et en prônant une sorte de synchronisation avec les rythmes naturels, jusqu’à idéaliser les heures passées à attendre les bonnes conditions, l’évolution des pratiques sportives, l’explosion de l’offre, le goût pour la multiplication des expériences ont fait voler en éclat cette vision des choses à part pour une minorité de passionnés. Aujourd’hui, les pratiquants veulent un accès rapide au plaisir. En outre, le surf touche aujourd’hui toutes les générations et le pratiquant de sport alternatifs, qui peut-être étudiant mais aussi CSP+, engagé très souvent dans une trajectoire professionnelle exigeante, n’a tout simplement par le temps d’attendre. Nombreux sont ceux qui cherchent une activité praticable à un moment choisi et non pas subi. C’est l’évolution constatée dans l’escalade avec le développement des salles de grimpe où les passionnés qui s’y retrouvent avouent pour beaucoup ne pas pratiquer en falaise. C’est peut être là une des clés du sujet.

Plus d’humanisme
La beauté du surf n’est pas accessible à tous et ses valeurs, sa symbolique, l’homme ou la femme sur la vague se nourrissant de son énergie et s’insérant dans sa beauté ne reste souvent qu’un rêve, un mythe et d’une certaine façon une fausse promesse. Sur le spot, la réalité est parfois difficile à avaler. Le surfer peut raisonnablement déchanter en faisant l’expérience de la surpopulation (le monde à l’eau) comparée à la ressource (les vagues, leur nombre limité et leur sublime incertitude). Aux bons, les bonnes vagues, aux autres les miettes. Dans ce contexte, un surfer débutant peut passer des heures à l’eau sans être en position de réussite. Qui plus est « si la pratique du surf se féminise peu à peu, elle reste néanmoins une activité largement sexuée, ou les normes de masculinité sont fortes. » (Anne Sophie Soyeux, Surfeur, l’être au monde). On pourrait se contenter de dire que le surf est ainsi, que ce parcours initiatique, pour ne pas dire ce parcours du combattant, est une sorte de sélection naturelle. Les surfers ont toujours été soucieux d’authenticité, mais à l’heure où la société prône toujours plus l’égalité des chances, un sport moderne, un sport qui devient olympique, ne peut décemment pas faire preuve du contraire. S’il est évident que le surf sera toujours une pratique réservée à une élite, au sens de possédant une aptitude particulière et espérons le une philosophie appropriée – mais on sait hélas que les deux ne vont pas toujours de paire – on peut tout de même oeuvrer pour que le surf soit aussi en parallèle, une pratique plus ouverte, plus égalitaire, plus accessible.

Raisons environnementales
Si peu de sports sont aussi étroitement liés à la nature que le surf, ce dernier doit tout de même encore faire sa révolution environnemental. Ceux qui tutoient les vagues ont ignoré pendant des années que les matériaux et les techniques mis en œuvre pour la fabrication de leurs planches ou de leurs combinaisons étaient très néfastes pour l’environnement. Aujourd’hui, avec 20 millions de surfeurs estimés dans le monde, 400 000 planches et 6 millions de barres de paraffines (la fameuse wax que les surfeurs étalent sur leur planche pour ne pas glisser) consommées chaque année et 250 tonnes de néoprène pour les combinaisons, le surf a encore des efforts à faire. De nouvelles fibres apparaissent pour les planches, c’est le cas également pour les combinaisons. Mais si l’on veut bien l’admettre, le déplacement vers la vague deviendra également un enjeu et ce même si des formes de déplacement plus vertueuses se développent. Depuis toujours les surfeurs (mais aussi les windsurfeurs et aujourd’hui les kitesurfeurs) se déplacent en fonction des conditions. Les vagues pour les uns, le vent pour les autres, voire les deux, dictent la destination à atteindre et souvent, peu importe les kilomètres donc les émissions polluantes. Parfois pour rien. La vague artificielle ne résout pas tous les problèmes, elle a besoin d’énergie mais elle peut représenter une partie de la solution. D’autre part, les vagues elles-mêmes, auront au moins pour certaines besoin d’être protégées, à minima le site qui les abritent. Enfin, et ce n’est pas le plus réjouissant, l’augmentation apparente des attaques de requins, sera un paramètre supplémentaire à prendre en considération.

Plus de modernité
Le surf n’échappera pas à la modernité. Le shortboard a remplacé le longboard, le single fin a laissé la place au twin-fin lui même balayé par le tri-fins, l’aérial a bousculé les certitudes, le tow-in également. Le surf a intégré tout ça finalement. Demain, ce sera les capteurs, l’e-sport, le gaming, les J.O, la vague artificielle paramétrable. La promesse initiale, la déconnexion, le voyage, sera toujours accessible à ceux qui le veulent. L’exploration, la vague naturelle, le surf trip continueront à représenter l’essence même du surf jusqu’à ce que les nouvelles générations en décident autrement. Les nouvelles générations auxquelles l’avenir du surf appartient. Les vagues artificielles vont se développer, c’est une certitude. On peut comprendre que certains puissent s’interroger et à terme regretter cette évolution mais les vraies vagues et la vraie aventure seront toujours au bout de la route de ceux qui le souhaitent.  Heureusement, c’est une expérience d’une toute autre dimension.

Mais entre le tour mondial actuel et le Duke Kahanamoku, depuis Tom Blake et jusqu’à John John Florence le surf n’a jamais cessé d’évoluer.

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