Kilian Jornet a inspiré une génération de trailers et d’amoureux de la montagne, à qui il a proposé un autre imaginaire, pas uniquement celui de la compétition ou de la démesure, ce qui est paradoxal pour celui qui fut surnommé l’ultra-terrestre.
Même si l’admiration qu’il suscite tient à son niveau de performance, à travers certains de ses premiers films, notamment Déjame Vivir de Seb Montaz-Rosset, avec lui, courir redevenait aussi un jeu. Ne l’oublions pas.
Mais Kylian est aussi passé sur le terrain de l’alpinisme…
Avec Alpine Connection, il s’attaque à un défi de taille : relier en autonomie autant de sommets des Alpes de plus de 4000 mètres que possible. « Cherche-t-il à battre le record en solitaire, détenu depuis 2015 par Ueli Steck, ou vise-t-il à surpasser le record absolu établi en 2008 par deux alpinistes italiens ? », la question est posée par Trail Session. Quel est le sens ? avance Alpine Mag.
La vitesse et les enchaînements font depuis longtemps partie du récit montagnard, sans que l’on sache si le passionné lambda n’a pas dévissé depuis longtemps. « En 2015, l’alpiniste suisse Ueli Steck, surnommé la Machine pour son goût du speed climbing, a quant à lui réalisé l’exploit de gravir ces 82 sommets en solitaire. Bien qu’accompagné occasionnellement par des compagnons d’aventure invités, il a achevé son périple en 62 jours, du 11 juin au 11 août, sans utiliser de moyens motorisés, se déplaçant uniquement à pied ou à vélo entre les ascensions », rappelle encore Trail Session, mais la quête de la vitesse verticale ne date pas de 2015.
La recherche de performance et la volonté de battre des records ne semblent pas diminuer, même si parfois on peine à en chercher le sens, en montagne mais aussi en mer. Les critiques politiques ou philosophiques sur cet aspect du sport ne sont pas nouvelles (Jean-Marie Brohm) ou dans un autre registre Albert Jacquard, mais trouvent peu d’écho. Les athlètes évidemment nous inspirent, nous aident sans doute, si ce n’est à nous dépasser, mais au fond à faire mieux, à imaginer d’autres barrières à franchir. Par mimétisme, ils nous incitent nous aussi à nous lancer, ils sont donc vecteurs de mise en mouvement, d’audace, mais ils nous imposent aussi une ligne de fuite. Les datas et les statistiques vont-elles surpasser le récit ?
La performance chiffrée est un récit qui fonctionne, mais n’oublions pas que la grande majorité des sportifs et autres gens qui bougent sont animés par des motivations très diverses, dont le jeu, la recherche du plaisir, la sensation, qu’elle soit forte ou plus douce, l’amitié, le partage, la découverte, la nature, le bien-être, l’esthétique, la santé, une forme de spiritualité parfois.
Si les pratiques sportives ne cessent d’évoluer, nombreux sont les reflets d’une culture qui perdure, notamment le « toujours plus », comme dans le cas de ce défi. L’admiration pour Kylian Jornet ou d’autres sportifs n’empêche pas le questionnement, notamment sur la nature des performances sportives, en particulier le besoin d’accumulation, par ailleurs discuté dans la société, leur motivation, notamment les enjeux de visibilité.
Dans le cas du projet Alpine Connection, on cherche effectivement la finalité de tout ça, le supplément d’âme. Comment comprendre cette quête presque aveugle d’enchaînements et de vitesse ? La montagne devient-elle un stade ? Après l’ultra-alpinisme, le crossfit-alpinisme ?
Revenons à l’ultratrail, il est toujours question de montagne. Cette semaine aura lieu l’UTMB. Cet événement est devenu un marqueur sportif et social. On se bouscule pour s’y aligner, on est fier d’y participer, on en parle sur les réseaux, que l’on soit le coureur lambda là aussi, ou une personnalité comme Étienne Klein, physicien, philosophe, alpiniste ou Marine Lorphelin, médecin, chroniqueuse et conférencière, ex-Miss France. L’ultratrail s’est imposé comme un phénomène, au-delà, l’endurance, une pratique sportive pour des adeptes de plus en plus nombreux
Le sujet de fond reste le suivant : que le sport peut-il dire demain aux nouvelles générations, à moins que ce ne soit un jour l’inverse, une nouvelle génération qui pose un autre récit plus en phase avec l’époque et les grands enjeux planétaires même si l’exemple Inoxtag ne pousse pas spécialement à l’optimisme, d’autres initiatives comme celle de @noamyaron et le co-sponsoring participatif pour un enjeu écologique donne de l’espoir.