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Vélo électrique, liberté et philosophie de l’effort

Archives Codezero. Analyse initialement publiée le 16 octobre 2017. Comme souvent, notre approche dans ce sujet était de prendre du recul, et de s’attarder sur la différence « culturelle » entre le VAE et le vélo « normal ». Et de lire postivement ce nouveau rapport au vélo. 

L’assistance électrique ne supprime pas l’effort à fournir, elle le remet à sa juste place et celle-ci n’est pas forcément centrale. Et c’est toute la philosophie du vélo qui change…

Le vélo électrique est un très beau … sujet de réflexion. Son succès, longtemps annoncé, autant de fois reporté, est enfin là. La technique est à maturité bien que de nombreux progrès soient sans doute à venir, sociétalement parlant le moment est également opportun ;

  • les mentalités – en partie – sont prêtes pour certains changements
  • nous avons conscience que nos formes de mobilité peuvent et doivent évoluer, notamment en ville,
  • la prise en compte de l’environnement, le poids de l’impact carbone et puis l’absurdité des embouteillages sont autant de paramètres.

Comme le montre à merveille cette vidéo, le vélo électrique efface une bonne partie des reproches que l’on pouvait faire au modèle initial, lui permettant d’être un moyen de transport « moderne », un loisir pour tous, sans les limitations qu’on lui connaissait jusqu’alors, d’envisager enfin son versant « sportif » d’une autre manière.

Si le vélo est – lorsque l’on est enfant et parce qu’il donne de l’ampleur au mouvement, d’un seul coup rapproche le coin de la rue, ouvre la perspective de la suivante – un des premiers apprentissages de la liberté, il est aussi l’engin avec lequel on perçoit très finement et très rapidement la consistance du mot « effort ». Mais que signifie-t-il vraiment ?

  • L’effort est la mobilisation volontaire de forces physiques, intellectuelles, morales en vue de résister ou pour vaincre une résistance nous dit le Larousse. C’est trop peu.

L’effort est en fait une notion bien plus large. Dans son livre « Philosophie de l’effort » (Editions Nouvelle Cécile Defaut 2016) Isabelle Queval, enseignante-chercheuse à l’université de Paris Descartes et philosophe, va beaucoup plus loin et laisse quelques pistes pour mieux comprendre les enjeux liés à ce mot clé de notre culture. Son ouvrage qui complète « S’accomplir ou se dépasser, essai sur le sport contemporain » va très loin et pose via ce filtre un regard très éclairé sur l’existence, l’éducation, mais aussi le sport, et  nous aide, si l’on transpose, à comprendre l’engouement, mais aussi les critiques liées au vélo électrique.

Le vélo, en France notamment, est en effet étroitement lié à l’idée que l’on se fait de l’effort. En partie à sa conception judéo-chrétienne qui comme elle le souligne « associe l’effort et sa valorisation dans la perspective d’un certain dolorisme : souffrir pour gagner son salut. Dans la version sécularisée dont nous héritons, il faut toujours et il a longtemps fallu souffrir pour être beau/belle, être vertueux comme pour accomplir une prouesse physique ».

La place de l’effort dans le vélo est en effet révélatrice de la place de l’effort dans le sport en général où l’on érige la difficulté, le travail, l’exigence, le sacrifice, le mérite, la douleur, l’excellence bien avant la réalisation de soi, l’équilibre et le plaisir. Il y a en effet une qualification morale de l’effort. Et c’est à Isabelle Queval de citer les travaux de Max Weber en particulier « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ». La perspective des Jeux Olympiques de Paris 2024 fait d’ailleurs ressurgir ces discours formatés sur le sport que beaucoup répètent à l’envie, sans même réfléchir si tout ceci est encore en accord avec les désirs d’aujourd’hui. L’un des premiers arguments des opposants au vélo électrique est d’ailleurs la perte du « goût de l’effort ». En ce sens, le VAE est pleinement en phase avec la conception « californienne » du vélo, celle qui a donné naissance aux cruisers, engins de plage, puis plus tard au VTT, et pour lesquels la notion de plaisir était centrale. C’est aujourd’hui dans le VTT que le VAE se développe le plus vite, mais les pratiques urbaines, les modèles utilitaires (cargos) et surtout la « route » ne devraient pas non plus y échapper à terme, bien que leur culture soit différente donc moins réceptive. L’assistance électrique ne supprime pas l’effort, elle le remet simplement à sa juste place et elle n’est pas forcément centrale, déterminante, voire excluante quand elle est instrumentalisée. Tout le monde ne parle pas du vélo comme Olivier Haralambon mais tous ceux qui aujourd’hui retournent vers ce deux roues sont davantage des amoureux de la « bicyclette » que de l’effort à tout prix. C’est tout et c’est déjà beaucoup. Parlons plus de plaisir, qu’il y ait moins d’effort n’est pas un problème, c’est une hiérarchie qui n’a pas lieu d’être.

Alors évidemment, tous les points de vue sur le vélo électrique sont recevables, le vélo traditionnel reste une des plus belles créations de l’esprit humain, simple, utile, ludique, efficace, durable, mais nous pensons que cet aspect est fondamental et que la diminution de la place de l’effort dans le vélo est évidemment la raison du succès du modèle électrique et que le déplorer, le dénoncer, l’instrumentaliser est une position à minima peu productive et carrément d’arrière-garde si elle sert – c’est malheureusement souvent le cas – à activer une forme de culpabilisation. Le vrai reproche que l’on pourrait faire au VAE est évidemment la multiplication (une fois encore) des composants électroniques et autres batteries là où justement il n’y en avait pas. A l’échelle mondiale, c’est potentiellement colossal, mais si le vélo à assistance électrique (car il n’avance pas sans vous) peut aider à repenser la mobilité urbaine et notamment faire reculer la voiture ou d’autres formes de mobilité motorisée, le bilan global pourrait bien être positif.

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